« Fiez-vous au caractère inépuisable du murmure ».
Il est peut-être significatif que ce soit précisément cette phrase – combien émouvante – d’André Breton qui se rappelait à moi avec insistance tandis qu’Eric Lachens me montrait pour la première fois ses œuvres.
Le charme qui émane de ses compositions délicates où dansent, en travestis de couleurs pures, gouttelettes et brindilles, vient sans doute de ce qu’elles possèdent la mobilité des visions très fugitives, bal de phosphènes vu à travers les paupières closes ou envol de pollens dans une prairie de mai.
La fraîcheur et l’élan de ce jeune artiste réjouissent le cœur et m’incitent à formuler un souhait: qu’il nous conduise plus loin encore sur les sentiers éblouis, jusqu’au cœur même de sa forêt d’oiseaux.
Patrick Waldberg
Dans le langage de la tradition hermétique, l’imagination change de nom et s’appelle le diaphane ou le translucide. Elle est dit-on comme l’œil de l’âme, le miroir des visions, l’appareil de la vie magique. C’est par elle que nous voyons les reflets du monde invisible.
C’est l’abandon sans défense au diaphane qui permet à Eric Lachens de se mettre en prise directe avec les énergies enfouies et de nous livrer par un processus voisin de celui du médium, le calque d’un extra-monde dont la trame essentielle se tisse de virtualités et de possibles. Ainsi les encres et les huiles de Lachens se déroulent sous nos yeux comme les planches d’un atlas qui n’aurait pas pour objet la description de la surface de notre globe mais la radioscopie des régions sidérales de l’être.
La lumière qui permet la révélation de ces zones inconnues n’est pas celle du soleil, mais la lumière humaine, intérieure qui, projetée sans cesse par le moi affectif, forme que Swedenborg appelle les atmosphères personnelles. Selon cette même tradition, il est constant que le corps absorbe ce qui l’environne, l’assimile et, par la voie de l’esprit, le restitue en rayonnement, projetant au loin ses molécules et ses effluves transmués, selon un rythme que les mystiques on nommé le respir. Il n’est rien – et sur ce point Leibnitz avait raison – il n’est rien dans ces projections spirituelles qui n’ait, au préalable, été perçu par les sens.
Simplement, l’objet de la perception sensorielle a subi une métamorphose : Il s’est affiné, gauchi, distendu, magnifié, hyperesthésié, de telle manière qu’il apparaît comme revêtu de la cape étoilée du prodige.
Les nuées de pigments au-delà des quelles transparaissent les nids d’alvéoles et les réseaux capillaires qui caractérisent la topographie inspirée d’Eric Lachens n’appartiennent pas, malgré les apparences, au domaine de l’informel, mais relèvent plutôt de ce que je nommerai le réalisme hagard. Guidées par un élan qui ne se dément pas, ces œuvres tracent le contour d’un monde pressenti, dont le cloaque originel se laisse irradier par la lumière du haut ciel qui est le lieu commun des visions et des songes.
Patrick Waldberg
Le fond semble poli mais plein d’anecdotes, vieilli ; de son aspect d’ardoise il subsiste un air de ces vieux tableaux noirs des écoles. Et comme des enfants muets devant des signes dont la portée leur échappe, il faut ici inventer ces figures fantaisistes ou barbares qui traversent, funambules sur une ligne de plâtre, solitaires ou ribambelles, les tableaux d’Eric Lachens. De ses rencontres naissent des solitudes. Comme on est seul le soir à faire surgir, des auréoles du plafond humide les monstres régnant sur nos insomnies.
Il me semble que ces formes ont une histoire. Si aujourd’hui dans les tableaux d’Eric Lachens on peut repérer facilement un dessin initial, ce n’est pas le cas des œuvres plus anciennes. La ligne, le contour sont nés, non de la translation du point immobile, mais plutôt de la rencontre, de la jonction de deux surfaces ou de leurs substances.
La peinture donne lieu au dessein, elle n’en dépend pas.
Du heurt violent ou amorti de deux aplats, de l’affrontement tentaculaire de tâches lavées, du rendez-vous de zones déchiquetées comme par d’autres chocs antérieurs, naît une ligne, un faisceau, un labyrinthe de … lacs inconstants. Spectacle de la gestation des formes : ce n’est donc pas fortuit si cette peinture est toujours évocatrice d’un milieu originel : monde aquatique, nuit cosmique, profondeur d’un magma, désert, aurore au sein desquels les éléments évoluent en suspension, légers, sereins, perpétuellement mus par un déséquilibre. Inquiète en son exacte fantaisie, en sa fantaisiste exactitude : rigoureuse application au songe.
Le peintre joue peu avec les variations de format. Probablement parce que l’espace ouvert dans le tableau n’est pas mesurable. Dans cet espace, il a dressé des rampes horizontales, de minces passerelles. Et l’on circule ainsi, penché comme des promeneurs, à regarder la profondeur et les remous d’un fleuve …
Vincent Pelissier